
LE DOSSIER
Durabilité dans les industries extractives : peut-on se fier à la profession de foi des miniers ?
Un tour d’horizon des portails internet des industriels, des administrations minières et de l’ensemble de l’écosystème des sous-traitants et de la société civile suffit à montrer une adhésion forte et d’ensemble à un principe aux contours encore flous, mais définitivement important. La durabilité, ou, dans une autre perspective, le développement durable, est le saint Graal à atteindre. Des mesures sont édictées, d’autres mises en œuvre, mais est-ce réellement pour atteindre un objectif mondialement partagé ou est-ce simplement pour se donner bonne conscience ?
La durabilité est un concept à géométrie variable qui s’est ancré dans l’évolution des industries extractives. À la page 19 de ce numéro, POINT FOCUS tente d’apporter un éclairage sur cette approche, d’abord philosophique, ensuite traduite en actions techniques et concrètes. C’est en se basant sur cette synthèse d’une littérature abondante et structurée que nous abordons cette interrogation sur la sincérité des engagements affichés par l’ensemble des acteurs des industries extractives.
La durabilité et les industries extractives.
Répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Cette formule, rendue iconique grâce au Programme de développement durable à l’horizon 2030 et aux Objectifs de développement durable (ODD), prend un sens particulier lorsqu’elle est appliquée aux industries extractives. À l’heure où le président Donald Trump entend déprioriser les protections environnementales de toutes sortes, en faveur d’un forage pétrolier intensif à travers les États-Unis, prôner la mesure dans les industries extractives à l’échelle mondiale peut paraître anecdotique. Monsieur Elimane Kane, Président Directeur Exécutif de LEGS-Africa et spécialiste en gouvernance des ressources naturelles, rappelait en 2023 que « l’agenda des Objectifs de développement durable (ODD) sous-tend un paradigme de financement international prônant l’extractivisme. En d’autres termes, il faut accélérer l’exploitation des ressources naturelles partout où elles existent dans le monde pour pouvoir booster la croissance mondiale. »
Pour lui, l’objectif de croissance au niveau mondial, qui est de 7 %, est un objectif ambitieux et quasi irréalisable, surtout pour les pays riches, « ce qui les pousse à se tourner vers les pays du monde où les réserves existent, notamment ceux du Sud comme l’Afrique. » C’est dire que même les ODD, qui représentent le plan d’action mondial pour l’inclusion sociale, la durabilité environnementale et le développement économique, pourraient contribuer à un extractivisme déroutant et paradoxal.
M. Kane va plus loin en soutenant que « ce même paradigme voudrait que cet extractivisme se fasse dans le cadre d’un partenariat public-privé. C’est-à-dire que nos États doivent travailler avec le secteur privé international pour exploiter les ressources et arriver à ce niveau de croissance mondiale d’ici 2030. »
Dès lors, est-il possible pour les pays d’Afrique de maîtriser les enjeux liés à la durabilité ?
Concilier durabilité et extraction minière.
À l’heure actuelle, il est reconnu que la conciliation entre l’industrie minière et les exigences du développement durable représente un grand défi pour l’ensemble des parties prenantes. Une telle conciliation doit désormais s’appuyer sur une approche englobante, qui prend en compte l’ensemble des considérations économiques, sociales, environnementales et éthiques de l’exploitation minière.
C’est un défi que traduisent les récents codes miniers adoptés sur le continent africain. Le Mali utilise spécifiquement la terminologie de développement durable, qui, selon son Code minier, s’appuie sur une vision à long terme, en tenant compte du caractère indissociable des dimensions environnementales, sociales et économiques des activités de développement.
La recherche de ce développement durable est inscrite dans le document de prospective « Vision Mali 2063 », adopté en mars 2025 par le gouvernement de transition. Dans son scénario le plus optimiste, dit « Scénario du Renouveau : MALI KURA », on y lit que « l’exploitation minière et pétrolière et des minéraux stratégiques (lithium, hydrogène, etc.) participe au développement du pays, par son intégration à l’économie nationale et locale, à travers la création d’une industrie minière, le renforcement et la promotion de la sous-traitance nationale, la valorisation de la chaîne de valeur par la création de richesse en rentabilisant les retombées de l’activité minière et par l’impulsion du développement durable, à travers la protection de l’environnement, la formation de ressources humaines de qualité et des actions de développement à l’endroit des communautés riveraines. »
La législation et les réformes en cours dans les secteurs de l’environnement, des mines et de la sécurité intègrent cet équilibre à trouver entre la nécessité d’une exploitation minière, qui soutiendra l’économie malienne dans sa phase de reconstruction, et la préservation des équilibres environnementaux et sociaux.
Les dimensions du développement durable.
Les spécialistes de la question rappellent rapidement à l’ordre ceux qui voudraient limiter le développement durable, ou la question de la durabilité, à la seule préoccupation environnementale. Dominique Ferrand, de l’Université du Québec à Chicoutimi, souligne que les enjeux et les impacts de l’industrie extractive touchent à la fois « les humains (peuples autochtones, employés et leurs familles, femmes, etc.), les écosystèmes et les autres ressources naturelles (eau, air, sol, biodiversité). »
Dès lors, dans l’approche de la problématique, les industries minières sont dans l’obligation de préparer et de mettre en œuvre des plans de développement durable et de soutenir la durabilité en axant leur intervention sur les principes d’extraction responsable, soutenus par le Conseil mondial de l’or, par exemple.
En septembre 2019, le Conseil mondial de l’or a franchi un cap décisif vers une exploitation minière plus éthique en établissant des principes d’extraction responsable. Destinées à combattre la corruption et à préserver les écosystèmes, ces directives incitent les entreprises du secteur à adopter des pratiques plus durables. Avec ses 24 domaines de performance, cette norme redéfinit les standards de l’industrie en intégrant des technologies innovantes et une gestion optimisée des déchets, tout en garantissant la sécurité des travailleurs. Dans un contexte où les pressions environnementales et sociales s’intensifient, les sociétés minières n’ont d’autre choix que d’adopter une approche plus responsable pour assurer la viabilité de leurs activités.
Au Mali, l’approche de la durabilité par les entreprises passe à la fois par un recours plus intensif à l’énergie solaire, la mise en place de projets de développement des zones d’accueil des projets miniers, et l’accompagnement du gouvernement malien dans la prise en charge de ses priorités de développement.
Barrick Gold, par exemple, a récemment agrandi son parc solaire de Loulo de 60 mégawatts et mis en place un système de stockage d’énergie par batteries, réduisant ainsi son empreinte environnementale. L’entreprise revendique également dans sa communication près de 10 milliards de dollars injectés dans l’économie malienne sous forme de taxes, redevances et paiements aux fournisseurs locaux, contribuant entre 5 % et 10 % du PIB du pays au cours des dix dernières années.
Une autre mine importante au Mali, celle de SYAMA, met un point d’honneur à publier un rapport annuel sur la durabilité. Ainsi, en 2024, Chris Eger, CEO de Resolute Mining, annonce une main-d’œuvre locale représentant près de 96 % des emplois. « En 2024, nous avons contribué à hauteur de 2,2 millions de dollars à des initiatives communautaires et acheté pour plus de 344 millions de dollars au Mali et au Sénégal, dont 4,1 millions de dollars provenant directement des communes, des villages et des régions entourant nos zones de permis d’exploitation minière ».
Des chiffres et… la réalité du terrain.
Le Mali a consacré la création de cinq fonds miniers, dont au moins trois sont dédiés au développement local. Ailleurs en Afrique, il a été privilégié la création de fonds souverains ou encore de fonds pour les générations futures, afin d’assurer une gestion durable des revenus issus de l’exploitation minière. Ces fonds, censés garantir une épargne intergénérationnelle et stabiliser les économies face aux fluctuations des prix des matières premières, peinent pourtant à prospérer.
Plusieurs facteurs expliquent ces échecs constatés, dont une gestion souvent politisée, des détournements de fonds et une dépendance excessive aux revenus miniers sans diversification économique. En l’absence de mécanismes de contrôle rigoureux, ces fonds n’ont pas réussi à remplir leur mission de développement durable.
La solution de la durabilité ne serait-elle donc pas, finalement, la diversification de l’économie de nos pays d’Afrique ? La diversification économique doit être une priorité, avec des investissements dans des secteurs porteurs tels que l’agriculture, les infrastructures et les énergies renouvelables. Il est urgent de mettre en place une gouvernance vertueuse des dividendes de l’exploitation minière. Cette gouvernance doit intégrer le principe de la communication avec les bénéficiaires et celui de la redevabilité, comme prôné par les schémas exemplaires de la durabilité dans les industries extractives.
Par Baba Sakho.
La durabilité est un concept à géométrie variable qui s’est ancré dans l’évolution des industries extractives. À la page 19 de ce numéro, POINT FOCUS tente d’apporter un éclairage sur cette approche, d’abord philosophique, ensuite traduite en actions techniques et concrètes. C’est en se basant sur cette synthèse d’une littérature abondante et structurée que nous abordons cette interrogation sur la sincérité des engagements affichés par l’ensemble des acteurs des industries extractives.
La durabilité et les industries extractives.
Répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Cette formule, rendue iconique grâce au Programme de développement durable à l’horizon 2030 et aux Objectifs de développement durable (ODD), prend un sens particulier lorsqu’elle est appliquée aux industries extractives. À l’heure où le président Donald Trump entend déprioriser les protections environnementales de toutes sortes, en faveur d’un forage pétrolier intensif à travers les États-Unis, prôner la mesure dans les industries extractives à l’échelle mondiale peut paraître anecdotique. Monsieur Elimane Kane, Président Directeur Exécutif de LEGS-Africa et spécialiste en gouvernance des ressources naturelles, rappelait en 2023 que « l’agenda des Objectifs de développement durable (ODD) sous-tend un paradigme de financement international prônant l’extractivisme. En d’autres termes, il faut accélérer l’exploitation des ressources naturelles partout où elles existent dans le monde pour pouvoir booster la croissance mondiale. »
Pour lui, l’objectif de croissance au niveau mondial, qui est de 7 %, est un objectif ambitieux et quasi irréalisable, surtout pour les pays riches, « ce qui les pousse à se tourner vers les pays du monde où les réserves existent, notamment ceux du Sud comme l’Afrique. » C’est dire que même les ODD, qui représentent le plan d’action mondial pour l’inclusion sociale, la durabilité environnementale et le développement économique, pourraient contribuer à un extractivisme déroutant et paradoxal.
M. Kane va plus loin en soutenant que « ce même paradigme voudrait que cet extractivisme se fasse dans le cadre d’un partenariat public-privé. C’est-à-dire que nos États doivent travailler avec le secteur privé international pour exploiter les ressources et arriver à ce niveau de croissance mondiale d’ici 2030. »
Dès lors, est-il possible pour les pays d’Afrique de maîtriser les enjeux liés à la durabilité ?
Concilier durabilité et extraction minière.
À l’heure actuelle, il est reconnu que la conciliation entre l’industrie minière et les exigences du développement durable représente un grand défi pour l’ensemble des parties prenantes. Une telle conciliation doit désormais s’appuyer sur une approche englobante, qui prend en compte l’ensemble des considérations économiques, sociales, environnementales et éthiques de l’exploitation minière.
C’est un défi que traduisent les récents codes miniers adoptés sur le continent africain. Le Mali utilise spécifiquement la terminologie de développement durable, qui, selon son Code minier, s’appuie sur une vision à long terme, en tenant compte du caractère indissociable des dimensions environnementales, sociales et économiques des activités de développement.
La recherche de ce développement durable est inscrite dans le document de prospective « Vision Mali 2063 », adopté en mars 2025 par le gouvernement de transition. Dans son scénario le plus optimiste, dit « Scénario du Renouveau : MALI KURA », on y lit que « l’exploitation minière et pétrolière et des minéraux stratégiques (lithium, hydrogène, etc.) participe au développement du pays, par son intégration à l’économie nationale et locale, à travers la création d’une industrie minière, le renforcement et la promotion de la sous-traitance nationale, la valorisation de la chaîne de valeur par la création de richesse en rentabilisant les retombées de l’activité minière et par l’impulsion du développement durable, à travers la protection de l’environnement, la formation de ressources humaines de qualité et des actions de développement à l’endroit des communautés riveraines. »
La législation et les réformes en cours dans les secteurs de l’environnement, des mines et de la sécurité intègrent cet équilibre à trouver entre la nécessité d’une exploitation minière, qui soutiendra l’économie malienne dans sa phase de reconstruction, et la préservation des équilibres environnementaux et sociaux.
Les dimensions du développement durable.
Les spécialistes de la question rappellent rapidement à l’ordre ceux qui voudraient limiter le développement durable, ou la question de la durabilité, à la seule préoccupation environnementale. Dominique Ferrand, de l’Université du Québec à Chicoutimi, souligne que les enjeux et les impacts de l’industrie extractive touchent à la fois « les humains (peuples autochtones, employés et leurs familles, femmes, etc.), les écosystèmes et les autres ressources naturelles (eau, air, sol, biodiversité). »
Dès lors, dans l’approche de la problématique, les industries minières sont dans l’obligation de préparer et de mettre en œuvre des plans de développement durable et de soutenir la durabilité en axant leur intervention sur les principes d’extraction responsable, soutenus par le Conseil mondial de l’or, par exemple.
En septembre 2019, le Conseil mondial de l’or a franchi un cap décisif vers une exploitation minière plus éthique en établissant des principes d’extraction responsable. Destinées à combattre la corruption et à préserver les écosystèmes, ces directives incitent les entreprises du secteur à adopter des pratiques plus durables. Avec ses 24 domaines de performance, cette norme redéfinit les standards de l’industrie en intégrant des technologies innovantes et une gestion optimisée des déchets, tout en garantissant la sécurité des travailleurs. Dans un contexte où les pressions environnementales et sociales s’intensifient, les sociétés minières n’ont d’autre choix que d’adopter une approche plus responsable pour assurer la viabilité de leurs activités.
Au Mali, l’approche de la durabilité par les entreprises passe à la fois par un recours plus intensif à l’énergie solaire, la mise en place de projets de développement des zones d’accueil des projets miniers, et l’accompagnement du gouvernement malien dans la prise en charge de ses priorités de développement.
Barrick Gold, par exemple, a récemment agrandi son parc solaire de Loulo de 60 mégawatts et mis en place un système de stockage d’énergie par batteries, réduisant ainsi son empreinte environnementale. L’entreprise revendique également dans sa communication près de 10 milliards de dollars injectés dans l’économie malienne sous forme de taxes, redevances et paiements aux fournisseurs locaux, contribuant entre 5 % et 10 % du PIB du pays au cours des dix dernières années.
Une autre mine importante au Mali, celle de SYAMA, met un point d’honneur à publier un rapport annuel sur la durabilité. Ainsi, en 2024, Chris Eger, CEO de Resolute Mining, annonce une main-d’œuvre locale représentant près de 96 % des emplois. « En 2024, nous avons contribué à hauteur de 2,2 millions de dollars à des initiatives communautaires et acheté pour plus de 344 millions de dollars au Mali et au Sénégal, dont 4,1 millions de dollars provenant directement des communes, des villages et des régions entourant nos zones de permis d’exploitation minière ».
Des chiffres et… la réalité du terrain.
Le Mali a consacré la création de cinq fonds miniers, dont au moins trois sont dédiés au développement local. Ailleurs en Afrique, il a été privilégié la création de fonds souverains ou encore de fonds pour les générations futures, afin d’assurer une gestion durable des revenus issus de l’exploitation minière. Ces fonds, censés garantir une épargne intergénérationnelle et stabiliser les économies face aux fluctuations des prix des matières premières, peinent pourtant à prospérer.
Plusieurs facteurs expliquent ces échecs constatés, dont une gestion souvent politisée, des détournements de fonds et une dépendance excessive aux revenus miniers sans diversification économique. En l’absence de mécanismes de contrôle rigoureux, ces fonds n’ont pas réussi à remplir leur mission de développement durable.
La solution de la durabilité ne serait-elle donc pas, finalement, la diversification de l’économie de nos pays d’Afrique ? La diversification économique doit être une priorité, avec des investissements dans des secteurs porteurs tels que l’agriculture, les infrastructures et les énergies renouvelables. Il est urgent de mettre en place une gouvernance vertueuse des dividendes de l’exploitation minière. Cette gouvernance doit intégrer le principe de la communication avec les bénéficiaires et celui de la redevabilité, comme prôné par les schémas exemplaires de la durabilité dans les industries extractives.
Par Baba Sakho.