
État de l’eau en Afrique de l’ouest : une ressource devenue hautement stratégique.
De tout temps, l’eau a été bien plus qu’une simple ressource en Afrique de l’Ouest. Elle a nourri les civilisations, façonné les échanges commerciaux et structuré l’essor des empires. Aujourd’hui, elle est au cœur d’enjeux majeurs qui englobent le développement économique, la sécurité alimentaire, la stabilité géopolitique et la résilience face au changement climatique. Alors que la pression démographique et les bouleversements climatiques redéfinissent la gestion des ressources hydriques, cette eau si précieuse devient un enjeu stratégique de premier plan pour l’avenir de la région.
L’eau a toujours été la colonne vertébrale des civilisations ouest-africaines. Dans les faits, l’Afrique de l’Ouest est traversée par des fleuves majeurs comme le Niger, le Sénégal et la Volta, qui ont permis aux grandes civilisations de prospérer. Dès le IIIème siècle, l’Empire du Ghana a exploité ces ressources hydriques pour structurer son commerce transsaharien, en facilitant le transport de l’or et du sel. L’Empire du Mali, sous Kankou Moussa, a perfectionné l’irrigation pour la riziculture autour de Djenné et Tombouctou, assurant ainsi une sécurité alimentaire qui a renforcé sa puissance. Plus tard, l’Empire Songhai a utilisé les eaux du fleuve Niger pour développer un réseau de marchés fluviaux, reliant Gao aux comptoirs sahariens. Avec la colonisation, l’exploitation des ressources hydriques s’est intensifiée, mais avec une vision extractiviste plutôt qu’un aménagement au bénéfice des populations locales. Des infrastructures comme le barrage de Markala (1947, Mali) ont été construites pour l’irrigation agricole et l’industrialisation naissante. Pourtant, les aménagements sont restés nettement insuffisants pour répondre aux besoins croissants de la région après les indépendances.
Une ressource sous pression dans un contexte de mutation.
Il est pourtant essentiel d’évoquer l’accès inégal à l’eau potable et aux infrastructures. Car en effet, malgré la richesse hydrique de la région, ce sont plus de 100 millions de personnes en Afrique de l’Ouest qui n’ont pas accès à une eau potable sécurisée (UNICEF, 2023). L’inégalité d’accès à l’eau s’explique en partie par :
Des infrastructures insuffisantes : seulement 58 % de la population dispose de systèmes d’adduction d’eau modernes (Banque mondiale, 2022).
Une pression urbaine croissante : des villes comme Lagos, Bamako et Dakar enregistrent une explosion démographique qui rend difficile la gestion des réseaux d’eau et d’assainissement.
Des conflits d’usage : l’agriculture représente 70 % de la consommation d’eau en Afrique de l’Ouest, limitant l’accès aux autres secteurs (FAO, 2023).
Une gouvernance régionale en quête d’efficacité.
Face à ces défis, des initiatives transfrontalières se mettent en place. L’OMVS (Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal) et l’OMVG (Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Gambie) travaillent continuellement au développement de barrages modernes tels que ceux de Manantali, Gouina ou Kandadi, destinés à répondre aux besoins en irrigation et en hydroélectricité. Mais ces projets peinent parfois à concilier les intérêts des différents pays. Le cas du barrage de Forni en Guinée, dont la mise en œuvre est discutée en raison de son impact en aval sur le Mali, illustre bien les tensions qui peuvent parfois se manifester.
Le changement climatique, une menace grandissante.
Face aux conséquences du changement climatique, l’eau devient une ressource de plus en plus difficile à maîtriser, entraînant des changements dans sa gestion en Afrique de l’Ouest, avec :
Des périodes de sécheresses prolongées : le Sahel a enregistré une réduction de 20 % des ressources hydriques en un demi-siècle (OMM, 2023).
Une élévation des températures : les pénuries d’eau affectent la productivité agricole, menaçant la sécurité alimentaire de millions de personnes.
La multiplication des inondations : les crues dévastatrices, notamment au Nigeria, au Niger, au Sénégal ainsi qu’au Mali, causent des déplacements massifs de populations et la destruction d’infrastructures. En 2022 par exemple, plus de 2,5 millions de personnes ont été affectées par des inondations en Afrique de l’Ouest (ONU, 2023).
Il faut en outre évoquer les conflits de plus en plus fréquents autour de l’eau. En effet, la raréfaction de l’eau alimente de plus en plus les tensions entre les communautés, et parfois même entre les États. Des discordes émergent ainsi autour des zones pastorales et agricoles, opposant éleveurs et agriculteurs dans plusieurs pays du Sahel. Dans le bassin du lac Tchad, qui a perdu 90 % de sa superficie en 50 ans, la concurrence pour l’eau a intensifié l’insécurité, avec des groupes armés exploitant ces tensions pour recruter des combattants (International Crisis Group, 2023).
Les solutions : vers une gestion plus durable et stratégique.
La modernisation des infrastructures et l’investissement dans la résilience apparaissent aujourd’hui comme des stratégies incontournables. Citons ici quelques axes de réflexion :
La rénovation des barrages vieillissants : de nombreux ouvrages construits entre les années 1950 et 1980 nécessitent des réhabilitations pour accroître leur efficacité.
L’extension des réseaux d’adduction d’eau : des projets comme le Programme Régional d’Accès à l’Eau et à l’Assainissement (PRAEA) visent à atteindre 90 % de couverture en eau potable d’ici 2035.
Une meilleure régulation des nappes phréatiques : des initiatives locales, comme la protection de la nappe de Diago au Mali, montrent l’importance de la reforestation et de la sensibilisation.
L’intensification et l’accélération des efforts au niveau des technologies et des énergies renouvelables, se révèlent dès maintenant comme des priorités au vu de l’urgence face à la situation hydrique :
L’irrigation intelligente : le développement de l’irrigation goutte-à-goutte pourrait tripler les rendements agricoles sans surconsommer l’eau (IWM, 2023).
Les solutions solaires pour le pompage de l’eau : des innovations comme celles déployées au Mali, au Burkina Faso ou au Sénégal par exemple, permettent un accès durable à l’eau pour les zones rurales.
L’hydrogène vert et le stockage d’eau : au Mali, les perspectives offertes par l’hydrogène naturel ouvrirait sans doute de nouvelles synergies entre gestion de l’eau et transition énergétique.
En tout état de cause, aller vers une gouvernance plus inclusive, et une coopération régionale accrue, résonne comme étant déterminant dans un futur proche :
En impliquant les populations : des modèles de gestion communautaire ont prouvé leur efficacité, notamment au Sénégal avec le programme REACH.
En mutualisant les efforts, une meilleure coordination des politiques hydriques entre l’OMVS, l’OMVG (et, dans une certaine mesure, la CEDEAO), pourrait prévenir les conflits liés à l’eau et renforcer la résilience régionale.
L’eau, un défi mais aussi une opportunité.
Si les défis liés à l’eau en Afrique de l’Ouest sont considérables, les solutions existent. Investir dans une gestion plus efficace et durable, tout en renforçant la coopération entre les États, est la clé pour transformer l’eau en levier de développement et de stabilité. Quoi qu’il en soit, l’eau constitue plus que jamais une ressource sous tension qui garantira, sans aucun doute, une meilleure maîtrise de l’avenir. Et c’est en cela que l’Afrique de l’Ouest doit, non seulement s’adapter aux bouleversements climatiques, mais aussi anticiper l’avenir en investissant dans des infrastructures durables et en adoptant une approche intégrée entre l’eau, l’agriculture et l’énergie.
À terme, espérons que l’eau ne soit surtout pas une source de conflits, mais plutôt un moteur de prospérité partagée. C’est avec cette dynamique en tête que se jouera aussi l’avenir de la région. Les décisions prises aujourd’hui détermineront le rôle stratégique de cette ressource pour les générations de demain.
Par Tournani Zerbo.