L'INTERVIEW

M. Mossadeck Bally, Président du Conseil National du Patronat du Mali (CNPM).

C’est un patron serein et ambitieux pour le secteur privé malien que nous rencontrons. Même s’il avoue avoir été très sceptique vis-à-vis de l’industrie extractive, malgré ses liens avec les géants miniers présents au Mali, M. Mossadeck Bally en reconnaît aujourd’hui son potentiel de manière pragmatique. Il nous livre son nouveau regard, loin des premières appréhensions d’une activité encore largement réservée aux capitaux étrangers, polluante et générant peu de retombées directes.

POINT FOCUS : En tant que président du CNPM, comment définissez-vous aujourd’hui le rôle du secteur privé malien dans le développement du secteur minier ?

M. Mossadeck BALLY :
Il est vrai que le secteur minier, ces dernières décennies, est devenu une industrie majeure, aussi bien en termes de contribution fiscale que de création d’emplois et de valeur ajoutée. C’est un secteur qui, pendant les premières années de l’indépendance, était quasi inexistant, car largement étatisé. Lorsque le secteur a été ouvert aux investissements privés, on a assisté à un bond spectaculaire, et on ne peut que s’en féliciter.

En tant que faîtière du secteur privé, notre réflexion porte sur la manière d’amplifier l’apport du secteur minier dans la création de valeur et de richesses nationales. Plusieurs outils existent. Le premier est la loi sur le contenu local, qui peut être déclinée sous plusieurs formes. Le deuxième est d’attirer, ce qui n’est pas encore le cas, l’investissement national.

“Bien que le secteur minier soit le premier contributeur aux recettes fiscales et aux exportations de notre pays, il n’attire toujours pas d’investisseurs maliens.”

La vision du CNPM s’articule autour de plusieurs axes :

Faire du secteur privé malien le moteur de l’industrialisation minière à travers la sous-traitance et le partenariat,

Créer une synergie renforcée entre les États de l’AES et de l’UEMOA par l’harmonisation des politiques minières et l’intégration économique régionale,

Renforcer le partenariat public-privé par un dialogue continu entre l’État, le secteur privé et les communautés locales,

Mettre en place des incitations fiscales favorisant l’émergence d’entreprises minières maliennes compétitives.

POINT FOCUS : L’émergence d’entreprises locales, qui est votre cheval de bataille, peut-elle suffire à maximiser l’impact du secteur minier dans le développement économique du Mali, quand on connaît le défi du capital humain ?

M.B. : L’impact fiscal du secteur est une réalité, mais celui sur la création d’emplois n’est pas encore à la hauteur des attentes. Nous l’avons constaté lors de notre visite à la mine de Syama et au contact des grandes compagnies. Cependant, en deux à trois décennies, le capital humain malien s’est affirmé. C’est quelque chose que nous devons amplifier. C’est pourquoi nous militons pour la création d’une école des mines, afin d’accroître cet impact sur l’emploi. Nous avons une économie qui ne crée pas assez d’emplois, alors que notre démographie vigoureuse met chaque année des milliers de jeunes sur le marché du travail.

Le secteur a déjà prouvé son dynamisme en investissant dans le développement de cadres de haut niveau, qui dirigent aujourd’hui ces sociétés. À nous de trouver les moyens d’amplifier à la fois l’investissement physique et l’investissement humain.

POINT FOCUS : Sur la question spécifique des emplois, faut-il continuer à ne regarder que du côté des sociétés d’exploitation minière ou prendre en compte la nouvelle dynamique des sociétés sous-traitantes ?

M.B. : Vous avez parfaitement raison. On sait que ce ne sont pas les mines elles-mêmes qui créent le plus d’emplois, mais tout le ruissellement autour.

“Le plus important n’est pas la participation de l’État dans les mines, ni les dividendes qu’il perçoit. La vraie clé, ce sont les achats faits par les sociétés.”

Tous les pays qui se sont développés grâce à cette industrie l’ont compris et ont mis en place les mécanismes nécessaires. C’est donc au niveau de la sous-traitance que se trouve le véritable levier. Je prends souvent l’exemple du Black Economic Empowerment en Afrique du Sud. Ce programme a permis l’émergence de milliardaires noirs pour la première fois.

Je dis donc qu’il ne faut pas se focaliser sur le pourcentage détenu par l’État. Concentrons-nous sur les achats. Si 70 à 80 % des achats des sociétés minières sont faits localement, nous créerons de la valeur et des emplois pour nos jeunes. Les sous-traitants seront mieux structurés, paieront plus d’impôts et recruteront davantage.

POINT FOCUS : Le gouvernement malien ambitionne de créer des champions nationaux. Mais au vu des défis de financement, la loi sur le contenu local n’est-elle pas trop ambitieuse ?

M.B. : Je me réjouis de voir qu’il existe déjà quelques champions comme Corica. Mais l’obstacle principal reste le financement.

Un permis se développe sur une dizaine d’années avant la phase d’exploitation, qui demande des montants colossaux. Je ne vois pas, aujourd’hui, de système bancaire national ou même régional (UEMOA) capable de mobiliser de tels financements.

Je pense que si nous développons d’abord l’écosystème de la sous-traitance, ce sera déjà un grand pas. Les champions nationaux émergeront de cet écosystème et pourront ensuite aller vers l’exploration et l’exploitation.

POINT FOCUS : Vous avez relancé la Bourse de Sous-Traitance et de Partenariat (BSTP). En quoi cette plateforme peut-elle faciliter l’intégration des entreprises locales dans la chaîne de valeur minière ?

M.B. : Au début de notre mandat, en octobre 2022, nous avons trouvé cette structure en veille. Nous avons décidé de la relancer pour en faire un point de connexion entre donneurs d’ordres et sous-traitants, afin de leur permettre d’accéder plus facilement aux opportunités.

“Donner aux donneurs d’ordres la possibilité de travailler avec des sous-traitants identifiés et labellisés BSTP.”

Avec les maigres moyens du CNPM, nous essayons de mettre en œuvre une feuille de route pour mobiliser les acteurs. Ce n’est pas facile, mais nous voulons créer un mécanisme de transparence et d’efficacité grâce à une plateforme digitale sécurisée, inspirée de l’UEMOA, qui centralisera appels d’offres et opportunités de sous-traitance dans tous les secteurs économiques.

POINT FOCUS : Vous avez plaidé pour la création d’une école des mines. Peut-elle répondre aux exigences du secteur et comment le privé peut-il s’impliquer ?

M.B. : Aujourd’hui, la majorité du capital humain dans ce secteur est malien, mais la plupart de ces cadres ont été formés à l’extérieur. Nous croyons fermement que la création d’une école des mines sera un levier incontournable pour la souveraineté minière du Mali et des États détenteurs de ressources.

“L’État peut rassembler tous les acteurs, donner son onction, mais laisser le financement et la gestion au secteur privé.”

Je suis persuadé que si l’on demande aux miniers de contribuer, ils accepteront, car ce sera un gain de temps et d’argent : ils n’auront plus besoin de former leurs travailleurs à l’étranger.


Au sortir de cet échange riche, Mossadeck Bally conclut par un constat amer, qui sonne comme une recommandation forte :

“Le secteur minier ne communique pas assez sur la réalité de son impact. Reste à savoir si l’industrie saura sortir de sa zone de confort pour mieux expliquer ses actions au peuple malien.”

Propos recueillis par Baba Sakho.

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