
La renégociation des contrats dans les industries extractives et énergétiques.
Au cours des cinq dernières années, nous avons vu sur le continent africain une série de débats sur la gouvernance du secteur extractif. Les contrats sont dénoncés et remis en cause par la société civile, le pouvoir en place ou l’opposition politique. Ces cycles sont loin d’être des faits nouveaux dans les relations entre les multinationales et les pays dont le sous-sol regorge de promesses minérales.
Du Sénégal au Congo, en passant par la Guinée, on veut aller au-delà des chiffres mirobolants et des investissements colossaux annoncés pour mettre au défi les contrats et autres conventions afin de sauvegarder les intérêts nationaux. Un dénominateur commun lie les pays désireux de rebattre les cartes, ils viennent de connaître un basculement politique porté par des dirigeants qui ont pour socle de discours la souveraineté. La renégociation est donc présentée comme un acte de souveraineté économique. Des doutes légitimes existent quant à savoir s’il s’agit d’une véritable correction des déséquilibres contractuels ou d’un effet de mode politique dicté par une géopolitique et un patriotisme exacerbés par une pression populaire.
Au Mali, le long feuilleton de l’adoption du Code minier en 2023 et le cycle tout aussi long des négociations pour obtenir des sociétés en production le basculement sur ce nouveau code montrent bien que la dynamique des profondes réformes dans le secteur extractif n’est pas un exercice neutre et facile. Dans le secteur de l’énergie, l’épisode de la convention entre Albatros et le Gouvernement du Mali pour la production d’électricité à Kayes (voir encadré ci-après) montre également la complexité du montage, de la négociation et de la renégociation des contrats dans ces secteurs minier, pétrolier et énergétique.
Cet article propose d’explorer les ressorts de cette vague de renégociations en Afrique, en analysant la complexité des contrats extractifs, les rapports de force entre États et multinationales, et les enjeux spécifiques du contexte malien. À travers des exemples concrets et une lecture critique, il s’agit de répondre à une question centrale : la renégociation des contrats est-elle une nécessité économique ou une posture politique ?
● Un contexte favorable aux renégociations ?
En juillet 2021, la Coalition Publiez Ce Que Vous Payez-Mali a saisi les autorités maliennes d’une lettre exigeant la publication du contrat de cession de la mine d’or de YATELA-SA à l’État malien. Cette action, qui s’inscrivait dans un cadre plus large de la Coalition mondiale Publiez Ce Que Vous Payez (PWYP), à savoir la campagne « Disclose the deal » (Divulguez les contrats), était précurseur d’une vague de remise en cause des contrats miniers au Mali.
Ici comme ailleurs, les mouvements politiques des cinq dernières années, marqués par des crises institutionnelles qui ont abouti à des changements de régime au Mali, en Guinée, au Sénégal, au Niger, au Burkina Faso ou encore en Tanzanie, ont coïncidé avec les velléités de renégociation des contrats miniers et pétroliers. Le cycle des dialogues nationaux, qui ont toujours recommandé aux nouveaux gouvernants une transparence dans la gestion des contrats miniers et pétroliers, sort de levier à ces derniers pour légitimer ou justifier les révisions des conventions antérieurement signées par les régimes précédents.
Le contexte géopolitique mondial est également mis en avant par les spécialistes de la question pour soutenir la tendance de la relecture des codes miniers et pétroliers, qui conduit à une nouvelle négociation avec les multinationales. En effet, ce contexte a une répercussion sur le cours des matières premières. L’or, valeur refuge par excellence, est passé d’environ 1 800 dollars US l’once (près de 1 080 000 F CFA) en 2020 à près de 3 450 dollars US l’once (environ 2 070 000 F CFA) en 2025, soit une hausse de près de 92 % (NDLR : une once d’or correspond à environ 31,1 grammes). Le pétrole Brent, après avoir chuté en 2020 à cause de la pandémie, s’est redressé pour atteindre environ 68 dollars US le baril (près de 40 800 F CFA) en 2025, enregistrant une augmentation d’environ 55 %. Le lithium, dopé par la demande croissante des batteries pour véhicules électriques, a explosé, avec des prix multipliés par plus de trois, représentant une hausse estimée à plus de 200 %. Les coûts de production, quant à eux, stagnent dans les pays africains.
Pour ajuster la balance, dans un esprit de partenariat équitable, les pays producteurs de matières premières optent pour une renégociation, un choix qui comporte des risques face au principe de droit qui dit pacta sunt servanda (« Les accords doivent être respectés et exécutés de bonne foi »).
● Renégocier oui, mais comment ?
Nathalie Bernasconi, directrice générale pour l’Europe du Forum intergouvernemental sur les mines, les minéraux, les métaux et le développement durable (IGF), mentionnait lors d’un séminaire de formation sur les contrats miniers que « trop souvent, les négociations de ces contrats ne sont pas menées de manière à permettre aux pays en développement d’obtenir un juste partage de la rente minière. Trop souvent, elles ne tirent pas le meilleur parti des investissements miniers en vue de la réduction de la pauvreté et du renforcement plus large du développement économique et social. Pour changer cela, il faudra profondément changer l’approche des processus de négociations. »
S’il est admis que, dans les contrats miniers et pétroliers, l’État se réserve un pourcentage des dividendes, l’IGF recommande aux États africains de changer de paradigme dans les négociations en privilégiant une maximisation de la valeur ajoutée de l’exploitation de leurs ressources naturelles non renouvelables. Le président du Patronat malien, Mossadeck Bally, prône une démarche similaire en proposant aux gouvernants de veiller à capter le maximum de ressources sur la chaîne de valeur de l’industrie extractive.
Les réglementations sur le contenu local connaissent un essor, signe que la vision a évolué. En sus des parts cédées aux États, les sociétés sont invitées à maintenir une économie locale par des investissements et des achats locaux. Selon le dernier rapport ITIE-Mali, en 2023, sur 1 243 milliards de F CFA de transactions avec les fournisseurs, 856 milliards ont été captés par les fournisseurs locaux, soit près de 70 %. Au Sénégal, la réalité est tout autre. Selon le rapport ITIE-Sénégal, publié en mai 2025, les fournisseurs étrangers du secteur minier ont obtenu des contrats d’une valeur d’au moins 429 milliards de F CFA au premier semestre 2024, contre 193 milliards de F CFA pour les fournisseurs locaux.
La renégociation suppose également que les États africains soient suffisamment outillés en termes de capacités institutionnelles et de stratégies pour faire face aux experts internationaux aguerris à la négociation et maîtrisant les rouages du langage juridique complexe, de la stabilisation fiscale ou encore de l’arbitrage international. C’est sans compter sur la capacité de ces firmes à déployer un lobby puissant pouvant interférer avec les intérêts des États africains dans le monde. Le Mali a pu voir à l’œuvre la campagne médiatique internationale qui n’était pas en sa faveur lors des renégociations avec des compagnies comme Barrick Gold, B2Gold ou encore Resolute Mining.
● Les risques de la renégociation des contrats.
Le Dr Thierno Diallo, professeur à l’Université du Québec à Chicoutimi, rappelle que la plupart des pays africains, pour attirer les investisseurs, ont adopté des codes des investissements extrêmement généreux, notamment sous la forme d’exemptions fiscales et d’octroi d’avantages douaniers en matière d’importation de matériel technique et d’exportation de matières premières.
« Avec ces réformes avantageuses et l’accroissement de la demande mondiale de certains minerais depuis la fin du XXe siècle, les investisseurs (Canadiens, Australiens, Chinois, Français, etc.) se sont bousculés aux portes des différents pays miniers, multipliant ainsi les grands projets miniers concernant notamment des métaux très convoités et de plus en plus rares comme l’or. »
Après deux à trois décennies de mise en œuvre de ce qu’il est convenu d’appeler des « codes d’attraction », les États africains, comme le soutient le ministre des Mines du Mali, se tournent dorénavant vers des « codes de développement ». L’adoption, en 2023, d’un nouveau Code minier, qui prévoyait un mécanisme de basculement des permis de recherche et des permis d’exploitation de leur code d’origine vers celui en vigueur à l’occasion de leur renouvellement, marquait cette volonté d’entamer des négociations âpres avec les sociétés minières en place. Ces dernières, sur la base du principe de stabilité du régime fiscal et du régime douanier, ont vivement critiqué cette révision du Code ainsi que le mécanisme proposé.
Le Mali, le Sénégal, la Tanzanie, le Burkina Faso ou encore la Guinée ont maintenu le cap des renégociations, non sans risques : risque d’un arbitrage international, risque réputationnel avec un impact sur l’attractivité du pays, risque d’une baisse des investissements. Dans le cas du litige qui oppose le Mali à Barrick Gold, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (NDLR : CIRDI, principale institution au monde dédiée au règlement des différends relatifs aux investissements internationaux, voir encadré ci-dessous) a été saisi par la firme canadienne. Deux cabinets d’avocats (ASAFO & Co et Debevoise & Plimpton LLP) assistent Barrick Gold pour le règlement de ce litige. Le pédigrée de ces cabinets, l’un basé à Paris et l’autre à New York, ne paraît pas suffisant pour faire renoncer le Gouvernement malien. Un autre risque potentiel est la tension avec les États d’origine des sociétés minières. C’est ainsi que le Mali a vu une forte implication de la diplomatie canadienne dans le cadre de la résolution des crises avec Barrick Gold et B2Gold. L’ambassadeur du Canada au Mali, Nicolas Simard, a mené des discussions avec des autorités politiques maliennes pour trouver une issue à ce différend aux conséquences importantes.
● Changer de paradigme.
La volatilité des prix des matières premières, l’évolution de la technologie de l’industrie minière et pétrolière qui réduit les coûts de production, ou encore la volonté des peuples d’avoir des contrats offrant plus d’avantages pour le pays détenteur des richesses du sous-sol, font de la renégociation une étape incontournable. Cependant, cette décision, avant tout politique, requiert une technicité de haute intensité et une vision claire. Laquelle vision ne peut et ne doit se limiter à un simple débat sur l’augmentation des parts de l’État dans le partage des dividendes. Renégocier les contrats miniers et pétroliers, en Afrique, c’est avoir une démarche claire d’une industrie extractive en phase avec les politiques économiques nationales, dans lesquelles les entreprises nationales ont une place de choix. C’est également savoir imposer un respect strict des normes sociales, environnementales et de développement durable. C’est enfin veiller aux intérêts des investisseurs, qu’ils soient nationaux ou étrangers. En clair, la renégociation des contrats miniers et pétroliers est trop sérieuse pour être laissée aux seules mains des acteurs des industries extractives.
Par Baba Sakho.